Je suis venue en ces terres. J’ai vu le tranchant de l’arme de Lizgoth s’abattre sur la nuque de Nanny. J’ai vaincu la débandade, entendu les cris, respiré la peur et l’odeur des fauves féroces, aperçu les vierges de sang tombées au sol, au combat, l’une après l’autre, lors de l’assaut final. Et je l’ai vue. Morphale a couru vers moi. Et j’ai cligné les yeux comme une nouvelle-née, avant qu’elle ne prenne ma main et ne m’attire à elle. On ne m’avait jamais pris la main.
À l’aube du millénaire post-capitaliste, le monde est en guerre. Dans une caverne sombre de la forêt bordant le grand fleuve, deux Amazones se cachent. De qui, de quoi ? Depuis leur naissance, elles n’ont connu que l’emprise de leurs dirigeantes, les manœuvres militaires, les purges et les catharsis, la mémoire scellée par le babil quotidien, et la Loi du ventre vide. Une vie à sens unique au nom du combat contre l’Autre, le clan des hommes. À distance du chaos, Morphale rapporte ce qu’elle a vu, alors que Tirésia se souvient de ses sœurs d’armes : Julianna, Malanie, Emrala, Vania, Tori, Lizgoth, Bérénice, Artémise…
L’histoire tragique et tourmentée de notre époque imprègne Les Amazones, allégorie politique actualisant le thème antique des femmes guerrières, qui raconte que la frontière entre les sexes est parfois un front, une zone d’affrontement. L’auteure fait le portrait de femmes d’essence post-féministe vivant au sein d’une société autarcique où un ordre, en apparence immuable, les rend identiques et interchangeables, stériles et insensibles. À la fois singulière et plurielle, la prose de Josée Marcotte s’enrichit de l’écho de Rimbaud, Michaux, Valéry et Volodine, et permet le glissement des préceptes du groupe vers des élans individuels, mais aussi celui du temps sacré, indéterminé par essence, vers une sécularité inquiétante, si près de nous.
Les Amazones, 2012, 94 p.